Zadig ou La destinée

Lorsque Voltaire (1694-1778) écrit ce petit roman, Zadig ou La destinée, histoire orientale, il est à Cirey auprès de Madame du Châtelet mais ceci ne l'empêche pas de faire souvent le voyage de Paris et de prendre part aux fameuses « nuits blanches de Sceaux », fêtes que donnaient à la duchesse du Maine tous ceux qui formaient sa cour. Pendant ces fêtes, on organisait une loterie des lettres de l'alphabet : celui qui tirait un C faisait une comédie, un O imposait un opéra ; c'est pour s'acquitter d'une de ces obligations mondaines que Voltaire commença à écrire des contes : après quelques essais plus ou moins heureux, il publie en 1747 : Memnon, histoire orientale, à Londres (en fait à Amsterdam), L'année suivante, le roman reparut sous le titre de Zadig ou La destinée, histoire orientale : on en connaît deux éditions de cette année, sans nom fâché le d'auteur et sans indication de ville. Voltaire défendait d'avoir écrit ce conte. Dans une lettre à d'Argental, il déclare : « Je serais très fâché de passer pour l'auteur de Zadig, qu'on veut décrier par les interprétations les plus odieuses, et qu'on ose accuser de contenir des dogmes téméraires contre notre sainte religion. Voyez quelle apparence ! ». C'est que Voltaire, qui venait d'être reçu à l'Académie Française et qui, après un long exil, se voyait rentré en grâce, ne tenait nullement à se compromettre. Par la suite, l'auteur reprit à plusieurs reprises ce roman qui connut le plus vif succès déjà l'édition de 1748 compte quelques chapitres de plus que celle de 1747 : Le souper ». « Les rendez-vous ». « Le pêcheur » ; celle qui parut en 1756 dans la Collection complète des œuvres de M. de Voltaire, est augmentée d'un nouveau chapitre : « Les disputes et les audiences » ; enfin deux chapitres : « La danse » et   Les yeux bleus », ne virent le jour que dans les éditions posthumes de Zadig. L'œuvre est accompagnée d'une « Approbation » de la plus haute fantaisie : « Je soussigné, qui me suis fait passer pour savant, et même pour homme d'esprit, ai lu ce manuscrit, que j'ai trouvé, malgré moi, curieux, amusant, moral, philosophique, digne de plaire à ceux-mêmes qui haïssent les romans. Ainsi, je l'ai décrié, et j'ai assuré monsieur le cadi-esker que c'est un ouvrage détestable ». Même persiflage dans l' Épître dédicatoire de Zadig à la sultane Sheraa [la Pompadour] par Sadi » ; Zadig « fut écrit d'abord en ancien chaldéen. On le traduisit en arabe pour amuser le célèbre sultan Ouloug-beb. C'était du temps où les Arabes et les Persans commençaient à écrire des Mille et une nuits, des Mille et un jours. Ouloug aimait mieux la lecture de Zadig, mais les sultanes préféraient les mille et un. — Comment pouvez-vous préférer, leur disait le sage Ouloug, des contes qui sont sans raison et qui ne signifient rien ? — C'est précisément pour cela que nous les aimons, répondirent les sultanes ».

Zadig
C'était Astarté elle-même. C'était la reine de Babylone
Illustration de Monnet

Zadig est un jeune homme de bonne mine et, malgré son jeune âge, plein des meilleures dispositions. D'aventures en mésaventures, il se forme et devient un véritable sage ; c'est alors et alors seulement qu'il connaît le vrai bonheur. Le voici d'abord sur le point d'épouser la belle Sémire, le plus beau parti de Babylone. Un envieux veut faire enlever la jeune femme ; Zadig se porte à son secours ; mal lui en prend, il reçoit un coup dans d'œil qui le rend borgne et Sémire, ne pouvant s'accoutumer à un mari borgne, le laisse pour son ravisseur (« Le borgne »). Zadig décide alors d'épouser une jeune fille du commun, Azora. Voulant éprouver la constance de ses sentiments, il simule la mort on l'enterre. Cador, ami de Zadig, réussit à consoler la jeune femme et, d'accord avec son ami, feint de souffrir affreusement d'une crise de rate. Le seul remède, prétend-il, est de poser sur la partie malade le nez d'un homme qui vient de mourir et voilà la veuve, un couteau à la main, qui se dirige vers le tombeau de son mari (« Le nez »). Désabusé des femmes, Zadig se retire à la campagne. Pendant qu'il se promène, il rencontre des courtisans affolés, partis à la recherche du chien de la reine et du cheval du roi, qui ont disparu. Zadig, qui n'a pourtant pas rencontré les animaux, met les poursuivants sur la piste au moyen de déductions savantes reposant sur de minuscules indices. Ceci ne lui rapporte que des ennuis avec la justice (« Le chien et le cheval »). Après quelques traverses, voilà Zadig devenu, grâce à sa sagesse et à sa générosité, le confident du roi et son premier ministre. Il fait régner quelque temps, à Babylone, une justice tempérée d'indulgence et de sagacité (« Le Ministre »). Malheureusement, la reine Astarté lui témoigne trop d'attentions et par là suscite la jalousie du roi ; Zadig doit s'enfuir en toute hâte de la cour (« La jalousie »). Sur le point d'arriver en Égypte, le jeune homme rencontre une femme éplorée, poursuivie par un mari furieux qui l'accable de reproches et de coups. Ému, Zadig intervient et est pris à partie par le brutal. Exaspéré, notre homme terrasse son adversaire mais, comme celui-ci profite de son indulgence pour le prendre en traître, exaspéré, Zadig le tue (« La femme battue »). Jeté en prison, puis vendu comme esclave. Zadig est emmené par son maître en Arabie ; là, il fait abolir la coutume qui imposait aux veuves de périr sur un bûcher. Il assiste à un souper avec un Égyptien, un Indien, un habitant du Cathay un Grec et un Celte. Chacun prétend à l'excellence exclusive de sa religion ; on en viendrait aux coups si Zadig n'intervenait pour leur démontrer qu'ils adorent le même Dieu. Mais les prêtres d'Arabie, auxquels les veuves, en mourant, laissaient leurs biens, veulent faire un mauvais parti à Zadig ; celui-ci n'est sauvé que par les ruses de celle qu'il a délivrée de ce supplice. Désireux d'obliger son maître, Zadig se rend ensuite dans l'île de Serendib il n'y est pas longtemps sans être regardé par tous comme un homme extraordinaire. Le roi veut le voir et l'entendre. C'est à lui que Zadig enseigne le moyen, célèbre depuis, de découvrir un ministre intègre : il lui suffit de faire danser les prétendants à ce poste, devant les trésors de la couronne, pour trouver immédiatement celui qui est capable de désintéressement. Comblé de bienfaits. Zadig quitte l'île.

Zadig
"Alors elle laissa voir le sein le plus charmant
que la nature n'eut jamais formé" Illustration de Monnet

En passant la frontière qui sépare l'Arabie de la Syrie, il tombe entre les mains d'un chef de brigands, Arbogad ; ce chef de bande a réussi à se rendre indépendant des deux États voisins. Zadig, là aussi, est traité avec beaucoup d'égards, à cause du courage qu'il a montré en se défendant contre les brigands. Au cours d'une conversation avec leur chef, Zadig apprend que le roi de Babylone est devenu fou, qu'il a été tué, que l'anarchie règne dans la ville ; quant à la belle Astarté, on ne sait de quel aventurier elle est devenue la proie. Zadig part aussitôt à sa recherche il parvient, après toutes sortes de péripéties, à la retrouver captive d'un seigneur hyrcanien, nommé Ogul. Celui-ci est consumé par une maladie imaginaire. On lui a recommandé de manger un basilic dans l'eau de rose ; comme seules les femmes peuvent toucher cet animal, les dames du palais se répandent dans la campagne pour en trouver un. Elles rentrent bredouilles au palais. Le roi est désespéré. Fort heureusement, Zadig paraît et lui annonce qu'il possède un remède plus puissant que tous les basilics de la terre. Et voilà Ogul et Zadig jouant au ballon. Ogul trouve ce remède pénible et fatigant, mais il persévère si bien que la cure fait son effet : un beau matin, il se trouve guéri. Grâce à cette petite leçon de culture physique, Zadig obtient la liberté d'Astarté qu'il renvoie à Babylone. Elle y est reçue avec « les transports qu'on a toujours pour une belle princesse qui a été malheureuse ». Le calme revient dans le pays et les Babyloniens déclarent qu'Astarté épousera celui qu'on choisira pour souverain. « On jura de reconnaître le roi le plus vaillant et le plus sage ». Zadig triomphe de tous ses rivaux par son adresse et son courage il devine seul les énigmes qui lui sont proposées, aussi est-il « reconnu roi d'un consentement unanime et surtout de celui d'Astarté, qui goûtait après tant d'adversités, la douceur de voir son amant digne aux yeux de l'univers ».
Les ennemis de Voltaire, et particulièrement Fréron, n'ont pas manqué de remarquer que Zadig était fait de pièces et de morceaux cousus ensemble et empruntés aux contes orientaux et aux récits de voyage. Cela est exact, mais ce qui est de Voltaire, ici, c'est d'avoir incorporé ces récits et anecdotes dans l'histoire continue de la formation d'un sage, admiré des uns, haï des autres, en butte à tous les coups du destin, mais sachant toujours s'en tirer avec élégance, par sa sagacité et son honnêteté c'est aussi d'avoir truffé son récit d'allusions aux événements et aux personnages de son temps. Zadig est, par endroits, un livre à clef et si nous ne sommes plus sensibles à toutes ces malices, nous ne pouvons pas ne pas être séduit par le mordant, la vivacité de ses attaques contre les défauts inévitables des souverains, contre la bassesse et la malhonnêteté de leur entourage contre les abus du clergé qui profite de la naïveté de tous et de la puissance de quelques-uns, en se faisant le plus sûr auxiliaire de l'injustice et de la tyrannie ; contre les femmes, presque toutes frivoles et sottes, quand ce ne sont pas des coquines fieffées. C'est ici une suite continue et sans monotonie de piqûres d'épingles, de coups de griffes, de satires malignes et légères, de portraits qui sont des caricatures. Le récit est enlevé avec brio et écrit dans un style admirable, aisé, souriant, épousant tous les méandres d'une pensée malicieuse où beaucoup de choses est dit en peu de mots. Si Zadig n'est pas un chef-d’œuvre comme Candide, c'est à coup sûr une des œuvres les plus plaisantes et les plus représentatives de Voltaire. Considérée par les contemporains comme une œuvre mineure, c'est une de celles qui survit et qui n'a pas cessé et ne cessera pas d'avoir des lecteurs.

bdp
16-Sep-2024
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