LE TATOUAGE.
Nouvelle extraite du recueil portant le même titre, premier volume de l'écrivain japonais Junichirô Tanizaki (1886-1965), paru en 1911. Cette nouvelle se passe à, une époque ancienne où la mode voulait que l'on s'embellisse en se faisant tatouer. Seikichi, jeune tatoueur réputé pour son talent, trouve surtout dans son art un immense plaisir à voir souffrir ses patients. Un jour, il aperçoit, dépassant sous les rideaux d'un palanquin, le pied nu d'une femme. Ce pied d'une forme parfaite, d'une blancheur éclatante, est un trésor de chair humaine, un chef-d’œuvre artistique. Et sans même avoir vu son visage, il sait qu'il a rencontré la femme idéale dont il avait toujours rêvé. Un an plus tard, une jeune fille vient le trouver lui apportant la lettre de recommandation d'une geisha qui le prie de lancer cette demoiselle dans le métier. Le tatoueur considère la jeune fille qui ne paraît pas plus de dix-sept ans, mais dont le visage a quelque chose d'étrange et d'inquiétant, comme si elle avait vécu maintes vies et commis mille crimes. Il déroule alors devant elle deux grands rouleaux. L'un représente Mo 11'i, la fille de l'empereur de Chine Tcheou le Cruel, qui regarde un prisonnier sur le point d'être exécuté devant elle. En contemplant le tableau, le regard de la jeune fille brille et ses lèvres tremblent, peu à Peu son visage prend l'aspect de celui de la princesse chinoise. « Votre âme est reflétée dans ce tableau » lui dit Seikichi. L'autre rouleau porte comme titre : « les Victimes ». Une jeune femme considère, d'un air plein d'orgueil et de plaisir, de nombreux cadavres d'hommes tombés pêle-mêle à ses pieds. « C'est votre avenir qui est représenté sur ce tableau, déclare le tatoueur, les hommes tombés ici sont tous ceux qui perdront la vie pour vous. » La jeune fille, prise de terreur, veut s'enfuir, mais Seikichi l'endort avec un puissant narcotique. Il passe ensuite de longues heures à tatouer sur le dos resplendissant de la jeune fille une énorme araignée, symbole de la femelle dévorant le male après la fécondation. Réveillée et transformée par ce tatouage magique, la femme, en sortant du bain, déclare à Seikichi effrayé : « Maître, mon cœur est débarrassé maintenant de ses timidités et de ses craintes. Et vous êtes ma première victime. » Seikichi la supplie de lui laisser contempler une dernière fois son tatouage que le soleil du matin incendie de lueurs d'or.
Dans une autre nouvelle, « le Secret », un homme, attiré depuis son enfance par le mystère, va se cacher, à une période troublée de son existence, dans un quartier de Tokyo qui lui est resté jusqu'alors inconnu. Chaque jour, afin qu'on ne le reconnaisse point, il prend un déguisement différent, et bientôt l'idée lui vient de se vêtir en femme. Cette métamorphose lui cause une indicible jouissance. Un soir, alors qu'il se trouve au théâtre et que tous les regards masculins convergent vers lui dans ses habits féminins, il reconnaît dans sa voisine une femme mystérieuse qu'il a aimée autrefois au cours d'une traversée. Celle-ci l'ayant également reconnu le fait conduire chez elle dans un pousse-pousse mais, pour flatter son goût du mystère, après lui avoir bandé les yeux. Tous les soirs se renouvelle la même cérémonie et il passe ainsi auprès de cette « femme d'un rêve » des heures exaltantes et délicieuses. Mais bientôt, la curiosité le poussant, il parvient à la convaincre de lui ôter une minute son bandeau pendant le trajet. Il lui suffit ensuite d'apprendre par cœur celui-ci et, grâce à l'enseigne d'une boutique qu'il a repérée quand il n'avait plus le bandeau, il parvient à retrouver la maison de cette femme. Hélas! Tout enthousiasme et tout amour sont soudain anéantis en apercevant une banale maison bourgeoise, à la fenêtre de laquelle il voit sa maîtresse pâle comme une morte, et en apprenant qu'elle est la simple veuve d'un commerçant. Le mystère éclairci, c'est une femme comme une autre auprès de laquelle il n'a nulle envie de retourner.
Ces deux nouvelles sont bien représentatives du premier aspect du talent de l'auteur, porté alors vers une littérature morbide et décadente inspirée de celle de l'Occident. Néanmoins, on y décèle déjà les germes de l'art et de l'originalité qui font de Tanizaki un des plus grands écrivains du Japon moderne.
