Les CONFESSIONS.
Célèbre autobiographie de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Elle est posthume, comprend douze livres et fut publiée en deux fois : les six premiers livres en 1781 et le reste en 1788. Son titre n'est pas abusif. Dans ce livre, en effet, l'auteur fait sans détour l'aveu général de ses fautes, sans, d'ailleurs, en séparer l'histoire de son temps. C'est en quoi l'on pourrait les appeler des Mémoires. Mais, au fond, il aspire moins à se confesser qu'à se peindre, afin de se justifier. En se montrant à ses semblables « dans la vérité de sa nature Il pense apporter en même temps une contribution essentielle à l'histoire de l'homme.
Or donc, Rousseau raconte sa vie depuis sa naissance jusqu'en 1766. Essayons de la résumer : Français d'origine, il naît à Genève, dans un milieu protestant. Sa mère étant morte en lui donnant le jour, il dépend de son paternel qui tient boutique d'horlogerie. Fort mal élevé par ce dernier dont l'humeur est assez fantasque, l'enfant ne voit rien chez les autres qui semble plus édifiant. Il trouve donc vite l'occasion de se pervertir. Dès sa sixième année, il est mis en pension et il revient deux ans après pour entrer en apprentissage chez un graveur. Cet enfant précoce, trop sensible et assez paresseux, supporte si mal toute discipline qu'il décide de prendre le large sans esprit de retour. Mais la faim chasse le loup du bois. Il se présente alors chez un curé de campagne. S'étant dit désireux d'embrasser la foi catholique, il reçoit le conseil d'aller voir Mme de Warens, dont le crédit pourra sans doute lui faciliter la chose. Bien accueilli par elle, notre catéchumène accepte de faire un séjour au couvent du Saint-Esprit, et peu après il consomme sa conversion. D'avoir fait connaissance avec cette personne fut décisif dans sa vie. Il reviendra souvent la voir, quel que soit l'éloignement auquel le condamne l'obligation de gagner sa vie. Divers métiers qu'il trouve assez désagréables : laquais, commis, croque-note et enfin précepteur. Ce genre d'occupation le conduit dans plusieurs villes de province dont la plus grande est Lyon. Mais c'est Paris qui le tente. Car, tout en roulant sa bosse, il s'est beaucoup instruit lui-même et déjà il est la proie du démon de l'écriture. Une blessure de l'amour-propre viendra brusquer son départ. A l'âge de 28 ans, il arrive à Paris, plus riche d'illusions que d'écus et prêt à se pousser par tous les moyens. Il compte bien qu'il fera fortune grâce à son système de notation musicale, qu'il veut présenter d'abord à l'Académie des Sciences. Il doit vite en rabattre. Sa bonne étoile, par contre, lui fait rencontrer quelques écrivains qu'il fréquentera par la suite : Diderot, Fontenelle et Condillac, sans oublier quelques personnages de haut rang. Mais le manque d'argent l'oblige à les quitter, pour aller vivre à Venise comme secrétaire de l'ambassadeur de France. Il se brouille avec ce dernier, rentre à Paris, se dépense en nouveaux efforts. Ayant le don de la musique, il en copie souvent pour vivre. Bien davantage, il en compose - témoin ces diverses partitions dont la dernière sera jouée à l'Opéra : "le Devin du village". Mais il ne s'y attache guère, la musique n'étant pour lui qu'un pis-aller. Tout comme il fuit la société des beaux esprits dont il est devenu la coqueluche. Sa vie est affleura. De fait, s'étant mis en ménage avec Thérèse Levasseur, simple lingère de son métier, il loge dans quelque mansarde Pour mûrir tout à son aise l'œuvre pour laquelle il est fait. Tout, d'ailleurs, semble l'y inviter. Quelques années avant (en 1750), il s'est vu décerner le prix de l'Académie de Dijon pour son "Discours sur les sciences et les arts". En 1755, la même Académie propose un autre sujet que Rousseau s'empresse de traiter : "Discours sur l'origine de l'illégalité parmi les hommes". Cette fois, il manque le prix mais, sitôt publié, son texte obtient autant de succès que le précédent.
Désormais, il fait figure dans le monde littéraire. Comme, par ailleurs, il est friand de la vie champêtre, il accepte le pavillon que Mme d'Épinay lui offre dans la forêt de Montmorency (1756). Dans cet « Ermitage », où il trouve la sécurité matérielle, il commence ses livres les plus importants: le Contrat social, l'Émile et la Nouvelle Héloïse. Bientôt, pourtant, tout se gâtera. Sa santé, d'abord, lui cause des ennuis auxquels vient parfois s'ajouter le délire de la persécution. De plus, il est en mauvais termes avec le clan des « philosophes » qui, l'accusant de faire secte à part, en profite pour le desservir auprès de sa bienfaitrice. Enfin, s'étant pris de passion pour la belle-sœur de cette dernière. Mme d'Houdetot, il se rend tellement importun pour la famille qu'on le somme de vider les lieux. Il semble que le baron de Grimm ait joué dans cette affaire un rôle des plus équivoques (1757). Fort heureusement, le maréchal de Luxembourg, seigneur de Montmorency, offre à l'écrivain de s'installer dans une dépendance de son château. Rousseau peut ainsi achever les trois ouvrages en question : en 1661, le Contrat social et la Nouvelle Héloïse. Quant à l'Émile, il le publie l'année suivante. Ce livre fait aussitôt l'effet d'un coup de tonnerre. Pour se soustraire à la prison, Rousseau doit gagner la Suisse, voyage qu'il fera dans la voiture du maréchal. Là-bas, le mauvais sort s'acharne sur lui de plus belle. Yverdun, Motiers, l'île de Saint-Pierre : partout il est indésirable. De guerre lasse, il accepte alors l'invitation du philosophe David Hume. Il s'embarque pour l'Angleterre en 1766. Séjour qui sera de courte durée, puisque Rousseau se brouille bientôt avec son hôte. Ici s'achève le douzième et dernier livre des Confessions. Remarquons que si Rousseau y maltraite volontiers les hommes dont il eut à se plaindre, il en use tout autrement avec le sexe féminin. Des diverses femmes qu'il évoque, trois surtout retiennent l'attention. Très différentes d'humeur, elles ont joué dans sa vie un rôle à l'avenant : d'abord Mme de Warens qu'il a connue à seize ans lors de sa curieuse conversion. Devenu bientôt son amant, il lui doit d'avoir pu vivre dans un cadre fait à souhait pour abriter cet amour, la maison des Charmettes, où il put rêver tout à l'aise, lire et apprendre surtout à connaître la nature. Il n'en fut pas moins un jour supplanté par un rival. Mais il sut pourtant se garder d'en vouloir à l'infidèle. Beaucoup plus tard, Sophie d'Houdetot : la grande passion de sa vie la seule femme sur laquelle tout son être se soit déchaîné parce qu'il la savait tout acquise à un autre. De fait, elle ne fut jamais sienne. Il l'a peinte sous le nom de Julie dans la Nouvelle Héloïse. Enfin Thérèse Levasseur, la compagne de sa vie, une belle et douce fille, en somme, dont il aura cinq enfants qu'il abandonne à l'hospice des Enfants-Trouvés. Sa liaison avec elle est le seul acte sage de sa vie. Car si Thérèse fut peu capable de comprendre son génie, elle n'en demeura pas moins son véritable ange-gardien.
Bien que Rousseau se fût résolu à ne pas publier son livre de son vivant, il n'avait pas cru devoir se taire sur son contenu. Car il brûlait d'en faire l'épreuve sur un certain nombre de gens. Il y eut donc plusieurs lectures qu'il fit lui-même dès son retour à Paris, en 1770 : chez la comtesse d'Egmont, chez le poète Dorat et chez le marquis de Pezay. L'effet en fut assez divers. Et pour cause : dans les Confessions, l'auteur ose nommer tout le monde. De ce fait, il réveillait toutes les haines assoupies. Sur l'intervention de Mme d'Épinay, la police mit fin à ces lectures.
Il faut signaler qu'on trouve quelque différence de ton entre les deux parties de l'ouvrage. En voici l'explication : dans la première, l'auteur se borne à évoquer des fantômes (souvenirs d'enfance, tableaux champêtres, portraits divers). Dans la seconde, il met en scène des vivants avec lesquels il entretint commerce d'amitié. Avouant ses travers et ses fautes, il ne balance pas toujours pour noircir tous ceux qu'il tient pour les instruments de son malheur. Autrement dit, tout le contraire d'un monde aboli. D'où la rupture de ton que nous montre le texte. C’est depuis longtemps un fait avéré que les Confessions de Rousseau sont un des plus grands livres qu'ait produits le génie de la France. Comme dans les Essais de Montaigne, un homme, ici, se déshabille devant tout le monde, se défait de sa vie intime et se dépouille de ses secrets. Si bien qu'à la fin il ressemble à un écorché. Il marie souvent l'innocence à l'impudeur, la délicatesse au cynisme, la lucidité au délire et le sublime à beaucoup de rhétorique. Par ailleurs, il insiste tant sur ses faiblesses que parfois l'on soupçonne quelque exagération. Il arrive qu'un homme, en effet, cherche à, se salir par orgueil. Mais, lui, Rousseau, on voit vite qu'il est au-dessus d'un pareil soupçon. Car il possède un accent qui ne trompe pas. Témoin cette note autographe qui figure dans son manuscrit de Genève : « Voici le seul portrait d'homme peint exactement d'après nature qui existe et qui, sans doute, existera jamais. » On l'accuse enfin de pousser au noir la peinture qu'il fait de ses anciens amis. Il se peut, mais c'est oublier la date à laquelle se rattache la mise en œuvre des Confessions : le temps le plus malheureux de sa vie. Contraint de quitter la France pour se soustraire à la prison, puis contraint de quitter la Suisse où tout le monde lui fait la guerre, contraint enfin de quitter l'Angleterre qui venait de l'accueillir, il est réduit à l’errance. Avant de rentrer à Paris, en 1770, il séjourne en Normandie, en Lyonnais, en Dauphiné. Voilà dans quelles conditions il écrit ses Confessions. Comment, dès lors, s'étonner s'il pousse parfois à outrance le récit des persécutions dont il continue à être l'objet ? Mais que l'on se garde de croire que la véracité de son livre en est altérée d'autant. La question, d'ailleurs, semble réglée par cette déclaration que Rousseau lui-même a faite dans ses Rêveries d'un promeneur solitaire : « Sentant que le bien surpassait le mal, j'avais mon intérêt à tout dire, et j'ai tout dit. Je n'ai jamais dit moins j'ai dit plus quelquefois, non dans les faits mais dans les circonstances, et cette espèce de mensonge fut plutôt l'effet du délire de l'imagination qu'un acte de volonté j'ai tort même de l'appeler mensonge, car aucune de ces additions n'en fut un. J'écrivais de mémoire ; cette mémoire me manquait souvent ou ne me fournissait que des souvenirs imparfaits, et j'en remplissais les lacunes par des détails que j'imaginais en supplément de ces souvenirs, mais qui ne leur étaient jamais contraires. Je prêtais quelquefois à la vérité des charmes étrangers, mais je n'ai jamais mis le mensonge à la place pour pallier mes vices ou pour m'arroger des vertus »
On reproche parfois à Rousseau le caractère assez scabreux de plusieurs passages de son œuvre. Sans doute, mais il faut admettre qu'on les rencontre seulement là où ils sont inévitables : ils sont amenés par le jeu naturel de l'analyse. Si la vérité veut garder son nom, il faut bien qu'elle se manifeste quand l'occasion s'en présente, – dût-elle choquer les bienséances. Ajoutons que Rousseau n'y met aucune bravade, non plus que la moindre délectation. Quelque chose, d'ailleurs, vient sauver les quelques passages en question : le pathétique dont s'enveloppe l'œuvre entière. Qu'on entende par là l'expression de toutes les ressources du cœur. Nourri de l'Évangile. Rousseau est tout, sauf un révolté. Si misanthrope qu'il soit, il se soucie des humbles et il sait toujours les défendre contre les grands. C'est seulement un réfractaire que son naturel et ses misères physiques condamnent à vivre en vase clos. D'où ses invectives contre une société qui ne croit plus qu'au plaisir, au mensonge et à l'injustice. Jean-Jacques, faible en tout, est l'incarnation de la souffrance. Cet état le fait communier avec les bêtes, les arbres et les pierres. Ses admirables tableaux de la vie rustique sont là pour en témoigner. Par son naturel, il s'inscrit à jamais en faux contre son époque : une époque pétrie d'artifice, qui ne cultive plus guère que le plaisir, l'ennui et la sécheresse du cœur.
Citons Suarès :
« Dans les lettres de la France, Rousseau a été le premier poète à porter la complexion et les sentiments d'un musicien. Homme nouveau par là et d'une extrême conséquence. Avec lui, la musique, la rêverie, la nature, le don amoureux de soi-même sont entrés dans l'art d'écrire et n'en sont plus sortis. » Issu tout entier de Montaigne, le Rousseau des Confessions est le père de Chateaubriand. Écrivain de race, il s'en faut pourtant que sa langue soit toujours correcte. Mais on connaît sa théorie sur l'art d'écrire. Il se moque de l'élégance : « Je vais plus loin ; écrit-il à Du Peyrom et je soutiens qu'il faut parfois faire des fautes de grammaire pour être lumineux. C'est en cela et non dans les pédanteries du purisme que consiste le véritable art d'écrire. » Ce grand style architectural, spontané autant qu'harmonieux, tire sa richesse de l'antithèse. Victor Cousin résume ainsi son opinion : « Rousseau est, comme Tacite, un très grand écrivain. Pascal excepté, personne n'a laissé sur la langue une pareille empreinte».
