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ARSÈNE GUILLOT.

Nouvelle de Prosper Mérimée (1803-1870) que le romancier écrivit entre 1830 et 1840 lorsqu'il eut renoncé à l'anonymat. Elle fit partie d'une série de petits récits qui parurent successivement dans la Revue de Paris et la Revue des Deux-Mondes et parmi lesquels on compte la Prise de la redoute ; la Vénus d'Ille ; la Partie de trictrac ; le Vase étrusque ; la Double méprise ; Matteo Falcone et Colomba.

Mme de Piennes, jeune, riche, jolie, pieuse et charitable, voit un jour, à Saint-Roch, une jeune fille aux beaux traits maladifs et un peu flétris, dont la toilette présente « un bizarre mélange de négligence et de recherche » tirer de sa bourse la seule pièce d'argent qui s'y trouve et en payer un cierge qu'elle offre au patron de l'église. Par la suite, elle rencontre plusieurs fois dans la rue l'inconnue dont la mine devient de plus en plus triste et misérable. Enfin, elle apprend que la pauvre fille s'est jetée par la fenêtre. Mme de Piennes se reproche alors de ne pas s'être informée plus tôt de sa situation. Elle envoie aux nouvelles son propre médecin qui revient en déclarant que la tentative de suicide ne sera pas mortelle, mais que la désespérée, qui en est quitte pour quelques fractures, n'y gagnera rien, car, si elle s'était tuée, elle eut au moins évité de mourir de la poitrine, ce qui ne saurait tarder. Là-dessus la belle dévote se rend chez elle, à la fois pour la secourir et la ramener à des sentiments plus chrétiens. Elle y reçoit les confidences de celle qui déclare s'appeler Arsène Guillot, simple « lorette » jetée dans la galanterie par sa propre mère qu'elle vient de perdre en même temps que l'abandonnait le seul homme qu'elle aimât. Choquée dans sa pudeur mais de plus en plus émue dans sa piété. Mme de Piennes revient presque chaque jour chez Arsène, la fait soigner, s'efforce de la consoler et lui envoie un prêtre pour la convertir.

Cependant, elle reçoit dans son hôtel la visite de Jean Max de Salligny qui, de retour d'Italie, vient lui présenter ses hommages, comme il avait coutume de le faire autrefois avec assiduité. On comprend que les deux jeunes gens ne sont pas indifférents l'un à l'autre. Mais ils ne s'en disent rien, car Mme de Piennes est mariée. Durant une visite que celle-ci fait à la malade, elle voit arriver Max, qui n'est autre que l'amant infidèle d'Arsène. Il a appris le drame dont il est la cause et, touché de pitié, est accouru chez sa victime. Aussi surpris l'un que l'autre de se retrouver en pareil lieu, Max et Mme de Piennes ont une attitude telle qu'Arsène, d'abord heureuse du retour de celui qu'elle pleurait, peut dire elle-même à sa protectrice : « Il vous aime ». Désormais un double conflit se joue dans l'âme des deux visiteurs, au chevet de la mourante qu'ils reviennent assister jusqu'à la fin. Le conflit est d'autant plus subtil chez Mme de Piennes qu'elle voudrait convertir Max, comme elle a voulu convertir Arsène, et quand il lui annonce son intention d'aller se faire tuer en Grèce, elle est terrifiée de sentir jusqu'à quel point il lui est cher. Enfin Arsène meurt en disant : « J'ai aimé » Et l'auteur, sans nous révéler ce qu'il advient de l'amour secret des deux survivants, nous laisse imaginer nous-mêmes le dénouement en nous disant qu'on put un jour lire sur la stèle de l'ancienne courtisane ces mots tracés au crayon d'une fine écriture aristocratique : « Pauvre Arsène, elle prie pour nous. »

Arsine Guillot occupe une place un peu à part dans l'œuvre de Mérimée. Le sujet qui fut, à l'époque, jugé des plus osés, offre un côté sentimental qui eut pu prêter à des développements mélodramatiques. Il les a magistralement évités, restant toujours, selon sa manière, sinon impassible au moins purement objectif, sobre d'analyses, ennemi de tout lyrisme et de toute éloquence. Il ne fait pas appel aux larmes, en s'attendrissant lui-même, mais sait les provoquer en laissant aux faits seuls le soin de nous émouvoir.


bdp
16-Sep-2024
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