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LE NŒUD DE VIPÈRES.

Roman de l'écrivain français François Mauriac (1885-1970), publié en 1933.

Au premier étage de sa propriété de Calèse, en Gironde, dans « la plus vaste chambre, et la mieux exposée », un vieil homme, le cœur défaillant, attend la mort. Plus qu'une attente, c'est pour lui une espérance - celle de pouvoir enfin assouvir quarante ans de rancunes, en frustrant de l'héritage qui doit lui revenir sa « famille aux aguets, qui attend le moment de la curée ». Cependant, c'est surtout sa femme, Isa, qu'il espère ainsi atteindre : à celle qui « s'enlèverait le pain de la bouche » pour ses enfants, nulle douleur ne sera plus cruelle que de les voir souffrir. Afin de parachever son œuvre de haine, il rédige à l'intention de celle-ci une lettre vengeresse où il épanche enfin son cœur, « ce nœud de vipères… saturé de leur venin ». Le portrait qu'il y fait de lui-même n'est certes pas flatté : très tôt orphelin de père, choyé par une mère d'extraction paysanne qu'il n'a jamais su aimer, il fut un adolescent bûcheur, méprisant ses condisciples mais envieux de leur richesse, de leur statut social. Nanti, à vingt ans, d'une belle fortune, grâce à la sage gestion maternelle, il s'est tourné vers la politique d'opposition, mais il l'a vite abandonnée lorsqu'il a compris que, malgré son anticléricalisme forcené et un certain désir de justice sociale, il serait « toujours du côté des possédants ». Cet être inflexible et solitaire a pourtant connu une brève période de paix, de bonheur : ses fiançailles puis son mariage avec une demoiselle Fondaudège - un des grands noms de la bourgeoisie bordelaise - lui ont permis de se croire enfin parvenu à la réussite sociale convoitée, tandis qu'il se découvrait capable « d'intéresser, de plaire, d'émouvoir ». D'autant plus dure a été sa chute, amenée par une confidence d'Isa, lui révélant qu'il n'avait été, pour la jeune fille, qu'un prétendant providentiel face au célibat menaçant. Alors, commence pour cet époux de vingt-trois ans une longue lutte silencieuse, implacable, qui fera de lui un mari détesté, un père démoniaque. « L'homme qu'on n'avait pas aimé, celui pour qui personne au monde n'avait souffert », ne va plus cesser de haïr et d'être silencieusement haï en retour. Des enfants naissent, qu'alternativement il jalouse ou cherche à gagner à sa cause. Avocat d'assises au barreau de Bordeaux, tout entier absorbé par une carrière lucrative mais harassante, se réfugiant, le cœur lourd, dans une débauche tarifée, il n'est rien d'autre, pour la suffisance bien-pensante du cercle familial, qu'un athée à sauver en même temps qu'un homme à ménager, car il « gagne gros ». Seuls de brefs éclairs de tendresse illuminent cet enfer domestique, l'affection de sa petite-fille, Marie, enlevée par la typhoïde, la sympathie de l'abbé Ardouin, candide homme de Dieu, la confiance de sa belle-sœur, Marinette, que ce réprouvé est le seul à savoir réconforter, l'édénique innocence de son neveu, Luc, que la guerre emportera. L'amour même lui est offert, lorsqu'une de ses clientes s'attache sincèrement à lui, mais son instinct destructeur est le plus fort, et il se contente de lui faire l'aumône d'une petite rente lorsqu'elle le quitte, enceinte de lui. Terrassé par la maladie, il ne vit que pour se venger, cruellement, d'avoir tant souffert. Un répit survenu dans son mal lui permet de gagner Paris, où il tente d'exécuter un projet diabolique, celui de rendre seul bénéficiaire de sa fortune son fils illégitime, Robert. Sa fille, Geneviève, son fils, Hubert, défendant la première sa propre fille, le second sa situation, parviennent à faire échec à cette machination, qui d'ailleurs le mortifie car Robert, qu'il n'avait jamais vu auparavant, est un être veule, mesquin, et finalement indigne de lui. Isa meurt en son absence, et sa propre haine meurt avec elle. Revenu à Calèse, il va terminer son atroce existence en l'unique compagnie de sa petite-fille Janine, que l'échec de son amour fait vaciller vers la folie et qu'il sauve d'elle-même. Le récit s'achève sous forme de journal où, brûlant les étapes, le vieil incroyant s'avance à la rencontre de l'Esprit. La mort le saisit au milieu d'un cri d'espérance : Dieu a triomphé. Qu'importe que la famille, cet autre « nœud de vipères », continue à tordre sa hideuse masse, puisque son cœur s'est enfin abîmé dans le divin Amour.

Bien que l'auteur, dans un avertissement liminaire, invite le lecteur à avoir la force et le courage « d'entendre cet homme jusqu'au dernier aveu que la mort interrompt… », ce portrait à la manière noire est si habilement brossé qu'il ne risque guère d'être abandonné en cours de route. Il est plutôt à. craindre que cette exploration des chemins de la nuit plus envoûtante qu'édifiante, ne nous incite, à l'exemple de l'auteur, à voiler du masque des justes notre secrète dilection du mal.

bdp
16-Sep-2024
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