Roman de l'écrivain français Pierre Jean Jouve (1887-1976), publié en 1935.
C'est l'ouvrage qui vérifie exemplairement la liberté que l'auteur n'a cessé de garder à, l'endroit de ses propres découvertes. Une fois de plus, l'Amour et la Mort luttent à armes égales ; et dans leur dos se devine la Faute, qui donne le sens. Le livre comprend deux histoires, distinctes par le lieu et par les personnages, mais si semblables dans leur action mystérieuse, qu'on peut les tenir pour parties du même ouvrage. Offrant le même thème, elles le dénouent d'une façon différente ; on dirait les panneaux d'un diptyque : le premier montre une damnation, le second une délivrance. La trame de « la Victime » est empruntée à un apologue de Luther. La scène est donc en Allemagne, au Moyen Age, mais à le mieux considérer, c'est un lieu surnaturel qu'on oublie vite au profit de la tragédie. Celle-ci comprend deux grands moments. Il y a les premières pages, gonflées de la fureur érotique de Waldemar et de l'attente amoureuse de Dorothée. Le drame une fois accompli, l'odeur de « cadavre ancien » répandue dans toute la maison, il y a surtout le débat dialectique des théologiens. La fausse résurrection par le sorcier, ou le prolongement entre vie et mort, cela permet-il le salut de Dorothée ? On a affaire ici à un mythe qui a pu recevoir créance dans les esprits du XVIe siècle en tant que réalité, et qui est transporté par le récit de Jouve sur le plan psychique profond où il reçoit une réalité autre.
« La Victime » évoque un art tourmenté, des couleurs brûlantes ; « Dans les années profondes », l'élégance de la composition, l'harmonie des figures et des paysages annoncent l'Italie du Nord. Le titre est pris aux Fusées de Baudelaire. L'histoire est celle des amours d'Hélène, femme au plus beau rayonnement de son âge, pour un adolescent, le gentil, le sauvage Léonide. Ceci survient dans un pays magique. Hélène meurt dans les bras de Léonide, à peine accompli le rite amoureux. Pur mouvement d'amour, la chevelure d'Hélène joue le rôle du Graal. Sur son chemin, le héros rencontre des êtres tout pareils à des paysages de la Carte du Tendre, l'un dressé comme une tour qui aurait nom « Grand Cœur », l'autre secret et tourmenté comme une mer qu'on dirait « Dangereuse ». C'est le comte-colonel de Sannis, le mari d’Hélène ; c'est Pauliet, le neveu d'Hélène. La scène capitale est sans doute l'acte érotique ; c'est aussi l'union de l'éros et de la mort telle que la femme la réalise dans une certaine logique de son être. Cependant, nous ne pouvons nous borner à Hélène, ni même à Léonide. Il faut considérer encore le mari d'Hélène et Pauliet. Tous changent en s'émouvant l'un l'autre. M. de Sannis hait sa femme. Il poursuit à l'intérieur d'elle une guerre d'anéantissement. Cependant, Hélène intègre la mort. Pauliet enseigne à Hélène la volupté. Hélène cependant lui résiste, comme elle résiste aux forces de destruction de son mari. Elle se penche sur l'abîme et n'y tombe pas. Mystère glorieux d'Hélène ! Ce sont M. de Sannis et Pauliet qui l'élèvent, l'émancipent, la font digne de son destin. Comme un mauvais sort, ils lui jettent la mort et le plaisir. Elle, pareille au poète, crée la vie avec la mort, et change le plaisir en don du ciel. Elle meurt sans doute : mais son amant vivra dans l'éternité. Elle l'a vraiment mis au monde. « En écrivant la mort d'Hélène au sein même de l'amour, note Pierre Jean Jouve, je tremblais toujours personnellement, et mon émotion demandait des jours pour se calmer. »
