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Roman de l'écrivain japonais Jun Ishikawa (1899-1987), publié en 1936. L'auteur, âgé de trente-sept ans, débutait tardivement dans les lettres.

A l'instant où commence l'histoire de Moichi est évoqué le spectacle des gouttes d'eau qui se forment au fond d'une vasque, qui étincellent dans la lumière comme des perles de verre et qui, au moindre mouvement, disparaissent. Tel est bien ce récit qui laisse à la lecture une sensation physique d'éblouissement. A peine s'engage-t-on dans le premier chapitre qu'on est happé dans une suite d'événements déconcertants.

Le narrateur, « je» dort en pleine matinée dans un appartement étranger : arrive le porteur de journaux qui cherche depuis des mois le locataire, et il faut le chasser, au terme d'un dialogue fort drôle. C'est de Moichi qu'il s'agit, mais où est-il parti ? Qui est-il ? On apprend seulement qu'il est doué pour la vie de parasite et qu'il a vécu jadis chez le narrateur. Celui-ci l'avait, par hasard, rencontré la veille à Shinjuku, un quartier de divertissements. Ils avaient échoué dans un bar, Moichi avait déclenché une bagarre et le tout s'était terminé par une fuite éperdue. Le narrateur est enfin rentré chez lui ; il s'interrompt pour reprendre son travail : une biographie de Christine de Pisan. Moichi a longtemps vécu aux dépens d'un acteur. Il a maintenant trouvé d'autres occupations, mais qui restent mystérieuses. Tous les personnages sont des êtres bizarres, sortis des maquis de la société, aux activités changeantes et mal définies. Le narrateur vit d'expédients. Quand, avec son ami, il fréquentait l'Université, ils se faisaient un devoir de ne jamais assister aux cours. Maintenant, l'ami loge à côté, toujours à dormir ou à s'enivrer. L'actuelle gérante de la maison est une personne laide, misérable, mais combative, venue d'on ne sait où. Son prédécesseur vit, avec sa femme morphinomane, en un lieu retiré et il y élève des oiseaux.

Aucune silhouette ne se détache avec netteté. Délibérément, l'auteur laisse toujours une zone d'ombre. Ratés, apprentis-écrivains, pauvres gens, parasites, forment, souvent à leur insu, une petite société clandestine, ils se connaissent, se retrouvent les uns chez les autres. D'ailleurs, l'époque est troublée. Une jeune fille dont il sera maintes fois question, Yukari, appartient à un mouvement clandestin, semble-t-il ; la Police exerce partout sa surveillance ; le travail manque. C'est dans de pareilles circonstances que le narrateur veut entreprendre sa biographie de Christine de Pisan. Il vénère le courage, la perspicacité dont fit preuve cette femme dans le tourbillon de malheurs et de guerres qu'elle dut traverser. En elle, il admire le « sursaut de l'âme » et associe son nom à celui de Jeanne d'Arc. Il revoit en esprit le visage de Yukari, la sœur de son ami, mais il ne l'a plus rencontrée depuis des années et n'a jamais révélé son sentiment. A plusieurs reprises, il emploie, transcrit en caractères phonétiques, le mot « ataraxia » Aux pires moments de désespoir, il invoque Fugen, dont le nom sert de titre au roman, le Bodhisattva rayonnant de la sagesse.

Ce récit n'est pas, comme il avait été annoncé d'abord, « l'histoire de Moichi » ; son unique objet, au fond, c'est la recherche de la sagesse. Mais tandis qu'il est à la poursuite de son « âme le narrateur est sans cesse interrompu, entraîné au dehors. Ici, il découvre des secrets sans le vouloir, ailleurs, il assiste à une crise d’hystérie ; il noue une liaison ; Yukari apparaît et disparaît, le vieillard aux oiseaux va d'échec en échec, sa femme meurt ; l'ami est appréhendé par la police puis se suicide. Le récit continue, tourbillon tumultueux d'événements. Des ruptures dans la chronologie, des coïncidences, de soudaines rencontres contribuent à aviver encore ce sentiment chez le lecteur. Cette aventure se déroule à la lisière du fantastique. La biographie de Christine de Pisan n'avance pas d'une ligne. A mesure que progresse le récit, le narrateur est pris dans le tourbillon, il s'éloigne de son idéal premier, seulement livresque, dont il sent peu à peu la vanité, et se trouve confronté à la vie et à la mort. Acculé, l'esprit se ressaisit et retrouve sa force; la recherche de la sagesse est semblable à une course dans un flot tumultueux. Le mouvement caractérise ce style. Les dialogues abondent, vifs, rapides, souvent rédigés en argot. Cependant, il n'est fait aucune « description les événements ne sont jamais rapportés pour eux-mêmes, mais intégrés dans de longues périodes, construites avec sûreté. Dont le cours déconcerte et emporte. Pour son vocabulaire d'une richesse éclatante, l'écrivain puise tour à tour dans l'argot, dans les classiques japonais ou chinois et jusque dans les canons du bouddhisme. Il est peu de romanciers qui aient témoigné envers le langage d'une telle passion. Ce faisant, et contre le naturalisme qui dominait alors les lettres japonaises, Ishikawa crée une littérature baroque et intellectuelle. A la "sincérité" volontiers sentimentale du naturalisme, il oppose l'imagination et la rigueur.

bdp
16-Sep-2024
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