Roman de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), publié en 1891.
Sans doute ne retrouve-t-on pas ici des Esseintes dont A rebours dépeignait les bizarres recherches spirituelles mais avec l'historien Durtal qui raconte son extravagante aventure intérieure, la parenté est visible. Ce nouveau roman est bien la suite logique du précédent et préface En route. Durtal, convaincu lui aussi que la matérialisation n'explique pas tout, voudrait démentir que le surnaturel existe, « qu'il soit chrétien ou non » : mais c'est vers le surnaturel à rebours vers la démonologie qu'il s'oriente. Il y est progressivement amené par ses études sur le maréchal Gilles de Rais (le Barbe-bleue de la légende), « qui fut au XVe siècle le plus artiste et le plus exquis, le plus cruel et le plus scélérat des hommes». L'épouse d'un écrivain catholique réputé, Hyacinthe Chantelouve, chez qui le satanisme se mêle à l'hystérie, l'entraîne à une initiation plus directe. Elle le met en rapport avec un prêtre interdit et excommunié, le chanoine Docre, qui nourrit des souris blanches avec des hosties consacrées et s'est fait tracer sous la plante des pieds l'image de la croix, afin de pouvoir la piétiner constamment. Les invocations diaboliques, les messes noires du chanoine de Satan, les turpitudes de la dame conduiraient probablement Durtal à quelque reniement de soi-même, s'il ne gardait contact avec un petit groupe d'intellectuels qui se réunit pour deviser tout en haut d'une des tours de Saint-Sulpice. Ce lieu particulièrement original est le domicile du sonneur de cloches Carhaix qui sait retenir ses hôtes par les talents culinaires de sa femme, et plus encore par le bon sens populaire, la vertu quasi-franciscaine de son catholicisme.
L'action de ce roman est particulièrement confuse. Les recherches savantes et les méditations de Durtal sur Gilles de Rais, les discussions philosophiques sur diverses formes du satanisme, sur la liturgie, la symbolique et l'art chrétien y alternent avec les scènes démoniaques. Les péripéties plus ou moins épicées de l'intrigue amoureuse de Durtal avec Hyacinthe Chantelouve ajoutent peu à l'intérêt du roman. Si les premières pages de Là-bas lancent une violente charge contre le naturalisme, Huysmans n'a pas résisté au credo littéraire de son époque à la façon de Zola, il veut donner au public une étude faite « d'après nature et d'après des documents authentiques » bien plus qu'un roman. Y est-il parvenu ? Il a prétendu que les scènes décrites par lui étaient « de bien fades dragées, de bien plates béatilles » à côté des faits véritables qu'il avait réunis : on a cru aussi pouvoir mettre des noms réels sur le chanoine Docre, et sur Hyacinthe Chantelouve, « une femme moderne bien connue dans le milieu clérical » ; mais avec le recul du temps, le satanisme ici mis en œuvre paraît factice et sent l'artifice littéraire : les sources auxquelles se référa Huysmans tenaient peut-être plus à la mystification qu'à l'occultisme. L'opinion d'alors en jugea différemment on lui ouvrait un monde encore très ignoré. Là-bas parut en feuilleton dans l’Écho de Paris et cette large audience lui fit un succès de scandale.
