Roman de l'écrivain anglais Robert Hichens (1864-1950), publié en 1904.
Après avoir vécu longtemps avec son père, une jeune fille, Domini Rens, éprouve le besoin de rompre avec le monde pour tenter de se connaître elle-même. Elle part pour Biskra en compagnie de sa femme de chambre. Dans le train entre Alger et l'oasis, elle rencontre un homme étrange, qui l'intrigue beaucoup. Sa curiosité s'avivera encore, quand elle le verra éviter le curé du village. Par ailleurs, le mystérieux inconnu semble avoir une répulsion invincible pour tout ce qui touche à la religion. H montre pour les femmes un mélange de sympathie et de répulsion. Enfin, il semble tout ignorer des usages du inonde. Domini finit néanmoins par apprendre son nom : Boris Androvsky, et par entrer en relations avec lui.
Ils se découvrent beaucoup d'aspirations communes, en particulier l'attirance du désert : ce « Jardin d'Allah », où ils trouveront, croient-ils, quelque apaisement à leur inquiétude. Peu à peu, ils s'éprennent l'un de l'autre et se marient. Leur désir est de s'établir dans une oasis et d'y installer une plantation, Andrésy ayant déjà exploité des vignes en Algérie. Au cours d'un voyage à la recherche d'une oasis propice, ils gagnent un poste militaire français. Là, l'aumônier des troupes raconte incidemment à Domini qu'un moine d'une Trappe nord-africaine a disparu quelques mois auparavant, sans que personne sache ce qu'il est devenu. Et une scène étrange se passe lorsque l'aumônier aperçoit Androvsky.
Enfin, celui-ci se décide à révéler la vérité à sa femme : c'est lui le moine en question. Profondément troublé par l'aventure d'un homme réfugié à la Trappe à la suite d'un chagrin d'amour, puis retourné au monde, il s'était rendu compte qu'entré dans les ordres fort jeune, il ignorait tout de la vie. Il en avait conçu une sorte de ressentiment contre Dieu, qui l'avait en quelque sorte attiré dans un piège. Aussi avait-il décidé de quitter la Trappe pour savoir s'il ne s'était pas trompé sur lui-même. L'expérience poussée jusqu'au bout par son mariage, il était la proie d'une lutte atroce entre l'amour humain et son invincible amour pour Dieu contre lequel il ne pouvait lutter.
C'est alors que Domini adopte la seule solution qui lui paraisse possible : elle ramène elle-même son époux à la Trappe, où il retrouvera la paix de l'âme. Quant à elle, Domini, elle élèvera l'enfant qu'elle a eu de lui dans le domaine d'un certain comte Antéoni, lequel a trouvé la paix dans le « jardin d'Allah » en devenant musulman.
Le Jardin d'Allah (The Garden of Allah) est aussi un film américain de Richard Boleslawski sorti en 1936, avec Marlène Dietrich et Charles Boyer.
Extraits
Elle souriait en entendant le vent, mugir. Le Sahara confirmait pleinement les paroles du devin. Demain, elle et Androwski partiraient ensemble, dans la tempête, et dans les ténèbres. Le troupeau de chameaux se perdrait dans la désolation du désert, et les gens de Beni-Mora, les ayant vu disparaître, plaindraient peut-être ceux qui s'abritaient derrière les rideaux du palanquin. Ils les plaindraient, comme déjà Suzanne le faisait ouvertement, ayant une expression tragique. A cette pensée, elle se mit à rire de bon cœur.
La nuit maintenant était avancée, minuit n'allait pas tarder à sonner et, elle n'avait pas encore songé à se coucher. Elle craignait en dormant d'oublier sa joie, et la gloire qui entrait dans sa vie. Elle restait jalouse de posséder les heures d'or de cette nuit bruyante et sombre; dormir serait les perdre. Et un sentiment d'avarice superbe s'exaltait en elle, contré la pensée du sommeil.
Androwski dormait-il ? Elle se le demandait, elle désirait ardemment le savoir.
Cette nuit, elle prenait conscience pour la première fois de l'intrépidité, inhérente à son caractère, qui lui sembla avoir atteint la perfection, sous l'influence de son amour parfait. Quoique seule, elle avait toujours eu du courage. Même à ses heures les plus cruelles, jamais elle n'avait été vaincue. Mais maintenant, elle sentait que l'amour avait revêtu sa nature d'une armure qui la rendait invincible.
Est-il étrange que l'homme ait ainsi le pouvoir de parachever l'œuvre de Dieu ? La raison ne doit pas devenir la servante de la foi en un être humain ? Elle ne songeait qu’à s'étonner de rien. Tout dans la vie lui semblait être parfaitement en harmonie, parce que son cœur était en accord parfait avec un autre cœur.
C'est pourquoi elle souhaitait la bienvenue à la tempête, et fit même bon accueil aux pensées évoquées par elle, au souvenir de la face convulsée du devin, lorsqu'il attachait ses yeux au sol, pour y lire, dans le sable, son destin.
Qu'était-ce, en effet, qu'un destin paisible, une vie rampant dans les bas-fonds, sans avoir la force de gravir les hauteurs ? Convaincue de la perfection absolue de son armure, elle devenait impatiente d'en faire l'essai. Elle souhaitait des assauts contre son amour, parce qu'elle savait les repousser tous, elle voulait se donner le plaisir de leur résister. Il y a pour le corps une exubérance de vie et de santé qui le porte à désirer la lutte. L'âme aussi quelquefois, déborde d'une semblable effervescence et se sent possédée d'une même passion combattive.
« Mettez mon amour à l'épreuve, ô mon Dieu », fut la dernière prière de Domini, cette nuit-là au moment où la tempête atteignait sa plus grande intensité.
« Mettez mon amour à l'épreuve, la plus forte qu'il puisse supporter. Lui, n'en connaîtrait jamais sans cela toute la puissance
Et elle s'endormit enfin paisiblement, dans le tumulte de la nuit, ayant le sentiment que Dieu exauçait sa prière. L'aurore, tel un pèlerin épuisé par la lutte contre l'obscurité et la tempête, arriva cependant, toute faible, paraissant sans courage pour faire le dernier effort et amener le jour. Avec la persévérance d'un être épuisé, dont la volonté serait restée indomptable, elle éclaira peu à peu Beni-Mora, d'une lumière timide, vacillant dans un nuage de sable tournoyant où apparaissait, la désolation d'un vide informe. Le village et toute l'oasis restaient noyés dans un brouillard intense qui, au lieu de peser lourdement, flegmatiquement, sur la face de la vie et de la nature, allait et venait paraissant affolé sous le poids d'un cataclysme imminent. Il semblait chercher au travers des couches obscures, à s'affranchir pour le crime. C'était l'émissaire du désert, et il l'avait envoyé de la plus lointaine retraite des dunes, en le poussant d'une force irrésistible.
Lorsque dans une grande tempête, l'océan est déchaîné contre les côtes, la terre doit se montrer féroce pour arrêter les flots. Le désert faisait rage contre l'oasis qui osait le défier jusque dans son sein. Chaque palmier, chaque ruisseau, chaque maison devenaient victimes de sa colère. Il passait le long des tunnels de mimosas, comme une sorte de torrent d'écume traversant une caverne, en grondant pour aller vers la montagne. Il revenait, il repassait, dans les rues étroites, en tourbillonnant au carrefour, et en se heurtant contre les portes de bois de palmiers, derrière lesquelles se blottissaient les danseuses maquillées, froides sous les fards et les lourds joyaux, lés mains tremblantes et croisées. Il vociférait contre les minarets des mosquées, sous lesquels se réfugiaient les colombes effarées ; il secouait les barrières qui enfermaient les gazelles dans leur parc ; il cinglait la grande statue du Cardinal, qui lui faisait face hardiment, brandissant sa double croix, comme pour l'exorciser. Il frappait, à coup redoublés la haute tour blanche, sur le sommet de laquelle Domini avait adressé pour la première fois la parole à Androwski. Il balayait furieusement les allées du jardin du comte Antéoni, secouant les arcades de la villa et les fenêtres du fumoir, arrachant avec frénésie les pétales pourpres des- bougainvilliers, qui en ornaient les murs, pour les précipiter, ainsi que des ennemis vaincus, sur les chemins de sable semblant faits de sa propre substance.
Partout, dans l'oasis, éclatait sa puissance destructive, mais assurément, son attaque la plus terrible semblait dirigée contre l'église catholique.
