Roman de l'écrivain nord-américain Ernest Hemingway (1898-1961), publié en 1929.
Vue de Gorizia, petite ville située au nord de Trieste, à l'extrême limite de l'Italie, la guerre, en cet automne 1916, ne semble pas très méchante. Elle se réduit à l'écho assourdi de quelques lointains coups de canon. Le lieutenant Frederick Henry, un Américain qui, par jeunesse. insouciance et goût du sport, s'est engagé dans l'armée italienne, y mène, entre ses ambulances, son mess, le vin et les femmes, une vie assez agréable. A mesure que l'hiver s'installe, les coups de canon se font de plus en plus rares. On accorde à Henry quartier libre pour l'hiver. Il en profite pour baguenauder de plaisir en plaisir à travers la péninsule. Revenu au front, il lie connaissance avec une infirmière anglaise. Il feint de l'aimer, mais il ment. Elle feint de le croire, mais ne le croit pas. Sur ces entrefaites, la guerre se réveille. A peine a-t-il le temps d'en parler avec ses hommes et de découvrir combien vigoureusement ils la haïssent. Il est blessé le premier soir, alors qu'il partageait avec eux un maigre repas de macaronis et de fromage. On l'évacue dans un petit hôpital américain de Milan. Le hasard veut qu'il y retrouve son Anglaise. Il y a entre elle et lui une complicité telle qu'il se met à l'aimer. Son genou se rétablit lentement. C'est l'été. Il a de l'argent. Il réapprend à marcher. Avec des béquilles d'abord, puis avec une simple canne. Mais les plus beaux étés ont une fin. Maintenant, l'infirmière est enceinte. Maintenant, il faut qu'il retourne au front. Là-bas les choses ont beaucoup changé. Il n'est plus du tout question de jouer. On se bat, durement. La lassitude est si profonde qu'elle accable et décourage. Hanté par le spectacle de la souffrance que cause la guerre, l'aumônier est amer, presque révolté. Le major Rinaldi, qui était le meilleur ami d'Henry, passe ses jours et ses nuits à opérer les blessés. Il craint d'avoir la syphilis. Le vin continue d'enivrer, mais n'égaie plus. Les plaisanteries traditionnelles agacent sans amuser. Pourvu au moins que les Autrichiens, l'hiver venant, renoncent à attaquer encore. Ils vont sûrement devoir y renoncer. Mais sait-on jamais? Ils sont devenus si hargneux. Henry est envoyé en pleine montagne. Il n'y est pas plus tôt qu'un mouvement de retraite s'amorce. Ses trois chauffeurs et lui rentrent à Gorizia, où ils parviennent épuisés de fatigue. La ville achève de se vider. Il ne trouve, griffonné en hâte et épinglé à un mur du mess, qu'un mot lui enjoignant d'évacuer le reste du matériel au lieu où l'armée doit en principe se regrouper. Plus facile à ordonner qu'à faire. Il y a sur la route une telle cohue (c'est la célèbre retraite de Caporetto) que les voitures n'avancent que par à-coups, et fort lentement. Quelle effroyable boucherie ce serait si les ennemis se mettaient à y jeter des bombes. Il parait plus raisonnable de s'aventurer sur des chemins de traverse que de continuer à s'exposer ainsi. Mais une des ambulances s'enlise. Les sergents qui, espérant gagner du temps, y avaient pris place, refusent d'aider à la dégager. Ils s'enfuient. Furieux, Henry en tue un. Les chemins de traverse ne mènent ni à la ville ni à une autre route, ils se perdent dans les cours de fermes comme les fleuves dans les sables. Il faut se faire une raison, abandonner les ambulances, poursuivre à pied. Une balle perdue fauche celui qui était peut-être le meilleur des trois soldats. Pris de panique, un de ses camarades déserte. Il part vers le Nord se constituer prisonnier. Après avoir longtemps marché au hasard, le lieutenant et le chauffeur qui lui reste retrouvent la grand-route. Sur un pont, des hommes armés arrêtent les officiers qu'ils reconnaissent. Ils les conduisent dans un pré, procèdent à un simulacre de jugement et les fusillent. Henry échappe de justesse à ce sort en se jetant dans la rivière au moment où il allait comparaître devant le soi-disant tribunal. A dater de cet instant, il considère que son contrat avec l'armée italienne est rompu. Il ne veut plus rien avoir à faire avec elle. Il se débrouille pour rejoindre son infirmière, qui passait des vacances à Stresa. Endroit innocemment, mais bien choisi puisqu'il suffit pour franchir la frontière suisse de gagner l'extrémité nord du lac. Avant qu'Henry ait eu le loisir de mettre cette petite expédition au point, un garçon de l'hôtel, avec qui il a sympathisé. l'avertit que son arrestation est imminente et lui prête une barque. Pendant sept heures, il rame avec acharnement. A l'aube, il est au large d'une petite ville. Il se rapproche. Il distingue des uniformes suisses. Désormais c'est la tranquillité et la joie. L'hiver fait pendant à l'été. Retirés dans un chalet, heureux comme Adam et Ève, ou Robinson et Robinsonne, l'ex-lieutenant et l'ex-infirmière attendent leur enfant. Mais celui-ci ne vivra pas et tuera sa mère.
Sa simplicité parfaite donne à ce roman une rare beauté. L'art de Hemingway consiste à traiter un sujet romantique d'une façon qui ne l'est pas. Cela crée un contraste extrêmement séduisant et entraîne l'adhésion des lecteurs les plus désabusés. Au début de 1917, Henry ne croyait pas à l'amour; par contre la guerre lui semblait être un sport assez amusant. A la fin de cette même année, il s'était rendu à l'évidence de l'amour et avait fui l'inutile et bête cruauté de la guerre. L'auteur rend cette évolution d'autant plus sensible que n'ayant recours ni à l'analyse ni à de grands mots, il s'en tient rigoureusement au concret et au quotidien. Si Henry a changé, c'est qu'il a vécu et appris. Le roman se borne à nous faire voir ce qu'il voit et constater ce qu'il constate; on suit le personnage pas à pas et on est ainsi amené tout doucement, sans cahots, à s'intéresser ou même à s'identifier à lui. Enfin et surtout, le style de Hemingway a une aisance lisse qui ne sent pas l'effort. Ce style, qui était à l'époque révolutionnaire, a marqué beaucoup d'écrivains, américains notamment. Tant bien que mal, ils se sont efforcés de l'imiter, mais en vain. Hemingway a ses trucs, mais, paradoxalement, ils donnent une merveilleuse impression de naturel. Conversations et récits se fondent et coulent aussi limpides, admirablement limpides.
