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REQUIEM POUR UNE NONNE.

Roman de l'écrivain nord-américain William Faulkner (1897-1962), publié en 1951. Ce roman est divisé en trois « actes » dont chacun comprend lui-même deux parties : une évocation historique et lyrique du lieu où va se dérouler l'action et une suite de dialogues à travers lesquels se développe l'action proprement dite. Les évocations, qui représentent environ la moitié du volume, semblent avoir pour but d'englober l'action — l'action par essence éphémère — dans le temps. On pourrait dire que Faulkner a voulu peindre une épopée sur le rideau qu'il va lever afin de nous mettre sous les yeux, avant l'apparition des personnages, la véritable scène sur laquelle se déroulent nos actes : une scène en proie aux ressacs et aux tourbillons du temps, un îlot battu de tous les vents du passé et qui va s'y dissoudre pour augmenter encore la pression énorme et tragique de tout ce qui nous quitte et n'en finit pas de nous quitter depuis toujours.

Acte I, le Tribunal ; Acte II, le Dôme doré ; Acte III, la Prison. Évocations : la fondation et le baptême de la ville de Jefferson (ville imaginaire où Faulkner a situé la plupart de ses romans) devenue ville autour de son Tribunal et de sa Prison ; la fondation de la ville de Jackson, capitale de l'État dominée par le Dôme doré, palais du gouverneur. Évocation de la durée de ces lieux et des hommes qui les créèrent, dévorant peu à peu les forêts originelles et multipliant des actes que le temps, à son tour, dévorait pour en nourrir finalement les mémoires sous forme de souvenir, d'histoire et de légende. La terre en proie aux hommes, les hommes en proie au temps dont le flux est jalonné par quelques événements majeurs : la naissance des villes, la guerre de Sécession, la montée toujours croissante du Progrès avec ses routes, ses chemins de fer, ses avions.


Personnages : Temple et son mari Gowan Stevens — la Temple et le Gowan de Sanctuaire ; Nancy Mannigoe, une Noire ; Gavin Stevens, oncle de Gowan et avocat ; le Gouverneur, Pete et Mr. Tubbs, un geôlier.


Action : Nancy Mannigoe, comparaît devant le Tribunal. Elle a tué l'enfant de Temple et de Gowan, ses maîtres ; condamnée à la pendaison, elle se contente de remercier le Seigneur. Gavin Stevens, qui a défendu Nancy, assiège Temple de sa présence — de sa présence qui est en soi l'exigence de la vérité. Temple se raidit contre l'aveu qui est en elle comme une tentation à la fois pacifiante et horrible ; elle part en voyage, puis quatre mois plus tard, revient brusquement l'avant-veille de l'exécution de Nancy. Après s'être à nouveau dérobée, elle appelle Gavin et accepte de se rendre avec lui chez le Gouverneur (Acte I). En pleine nuit, elle entreprend alors, face aux deux hommes (Gowan assiste caché à la scène), une confession qui est une sorte de survol d'elle-même, un survol d'abord lointain mais dont les cercles de plus en plus rapides et serrés l'amènent à dévoiler sa faute : à l'époque de Sanctuaire, quand elle avait été enlevée par Popeye et séquestrée par lui dans un bordel de Memphis, elle a connu le bonheur dans le mal; la vie respectable qu'elle a menée ensuite auprès de Gowan n'était que surface, en elle subsistait, refoulée, la même soif de perdition. Si elle a engagé Nancy, l'ancienne putain, ce ne fut point par bonté mais pour échanger avec elle, en secret, des paroles et des confidences de putain. Un jour enfin est apparu Pete, jeune frère de l'amant (tué par Popeye) qu'elle avait eu à Memphis. Pete venait la faire chanter avec de vieilles lettres ; elle s'est donnée à lui, elle a volé pour lui et elle se préparait à s'enfuir avec lui quand, pour l'en empêcher, Nancy a tué son enfant (Acte II). Malgré cette confession, le Gouverneur a refusé la grâce de Nancy parce qu'il ne veut pas s'opposer à sa volonté de sacrifice et de rachat. Temple, accompagnée de Gavin, va rendre visite à Nancy, et Nancy l'accueille dans la grâce et le détachement : elle est à présent du côté de la sérénité. Maintenant qu'elle a assumé sa part de mal, elle croit au salut ; toute sa vie présente se résume même en cette croyance qu'elle exprime crûment en disant : « J'peux m'envoyer Jésus aussi. J'peux m'L'envoyer. » Est-ce pour faire sienne cette leçon que Temple, lorsqu'elle entend la voix de Gowan, court le rejoindre ?

Albert Camus (1913-1960), qui a tiré de ce roman une pièce en deux parties et sept tableaux représentée pour la première fois le 20 septembre 1956 au Théâtre des Mathurins, a écrit en avant-propos à la traduction française : « Le style de Faulkner, avec son souffle saccadé, ses phrases interrompues, reprises et prolongées en répétitions, ses incidences, ses parenthèses et ses cascades de subordonnées, nous fournit un équivalent moderne, et nullement artificiel, de la tirade tragique. C'est un style qui halète, du halètement même de la souffrance. Une spirale, interminablement dévidée, de mots et de phrases conduit celui qui parle aux abîmes des souffrances ensevelies dans le passé. Temple aux délicieux enfers du bordel de Memphis qu'elle voulait oublier, et Nancy à la douleur aveugle, étonnée, ignorante, qui la rendra meurtrière et sainte en même temps…


bdp
16-Sep-2024
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