Roman de l'écrivain français d'origine suisse, Henri Benjamin Constant de Rebecque (1767-1830), écrit en 1805, publié en 1815 à Londres. On le considère comme le type même du roman d'analyse psychologique. L'auteur a publié cet ouvrage comme une « anecdote trouvée dans les papiers d'un inconnu » pour montrer à quelles sombres tragédies peut conduire la sécheresse de cœur. Sous cette forme, qui lui permet de paraître détaché de ses propres passions d'homme de son temps, ce partisan tenace des libertés constitutionnelles a pu confesser une désillusion amoureuse et défendre ses idées politiques avec une ferveur accrue.
Il raconte donc qu'il a rencontré à Cérenza, dans une auberge, un étranger et qu'au bout d'un certain temps il est entré en possession de ses papiers. Dans son manuscrit, Adolphe, cet inconnu, raconte en s'exprimant à la première personne, comment l'existence s'est chargée de le familiariser de bonne heure avec l'idée de la mort, et comment chaque chose lui apparaît voilée de tristesse. L'amour d'une mystérieuse créature mariée et mère de famille, Ellénore, en même temps qu'il développe sa passion sentimentale, augmente en lui la sécheresse froide et contemplative. Distrait, inattentif, ennuyé, il n'éprouve que les angoisses de l'existence. Preuve d'amour et de répulsion à la fois, il voudrait changer de vie et rompre la barrière qui le sépare des autres êtres, mais une force le pousse à l'aridité de pensée et tue l'authenticité du sentiment avant qu'il puisse en sentir toute la joie. Au cours de réflexions et de douloureuses confessions. Adolphe parle de son amour où tout est sentiment et où rien d'éternel ne marque la vie spirituelle de ces deux êtres. Le drame réside dans leur incompréhension, mais surtout dans la tristesse sceptique d'Adolphe.
C'est en vain qu'Ellénore, en lui consacrant sa vie, lui fait comprendre qu'elle a tout sacrifié pour le rendre heureux ; l'idée de la mort reprend le jeune homme. Un calme mystérieux et ultra-lucide lui rend l'existence monotone et le pousse irrémédiablement à étouffer en lui les germes d'une passion libératrice. L'amour d'Ellénore devient un élément qui s'intègre à sa vie, mais ne lui apporte pas la lumière souhaitée : il y a trop de sécheresse en Adolphe et dans la conception qu'il se fait de la vie, avec ses bons et ses mauvais côtés. La mort de l'aimée en même temps qu'elle fait comprendre au jeune homme ce que, pour lui, cette femme représentait vraiment, lui fait prendre conscience de l'inutilité de sa vie d'homme, d'homme incapable de s'attacher aux autres hommes et d'aimer la plus passionnée des créatures.
Quelques déclarations finales, présentées sous la forme de notes ajoutées par l'éditeur, indiquent que la vie de l'auteur n'a rien à voir avec ces amours mouvementées. Malgré cela, les critiques voient en Ellénore le portrait de Madame de Staël et reconnaissent, dans le sujet, les péripéties orageuses et douloureuses d'une liaison bien connue (en effet certains retrouvent dans cette œuvre des ressemblances variées avec une Miss Lindsay que Benjamin aima). En réalité, l'écrivain s'est placé en dehors de sa propre vie tourmentée pour pouvoir contempler les passions avec objectivité. Adolphe est souvent cité comme exemple du héros romantique et du mal du siècle, avec René de Chateaubriand et Obermann de Senancour : mais héros sans cesse poursuivi par tous les moments de son évolution psychologique, il paraît porter en lui un violent conflit spirituel qui naît du désir d'agir et de la connaissance des erreurs du monde.
