Roman que Colette (1873- 1954) écrivit en 1928, deux ans après la fin de Chéri, et un peu avant Sido.
Arrivée au point crucial de la vie d'une femme, celui où les amis remplacent insensiblement les amants, où tout se simplifie, s'épure et s'apaise, l'auteur du livre tente d'arrêter une ligne de conduite et reconnaît les limites de son domaine. Car elle a depuis longtemps décidé de l'extrême économie de sa vie, de la rusticité somptueuse du décor, de la solitude attentive, ardente, épanouie qui est sienne à jamais. Le sens profond du livre est rendu intelligible dès la première page : Colette nous propose, en fait de préface, le texte d'une lettre qu'écrivit sa mère à soixante-dix-sept ans. Sido refuse d'entreprendre un voyage dont la perspective l'enchantait, parce qu'un cactus rose, « qui ne fleurit que tous les quatre ans », peut d'un moment à l'autre ouvrir ses boutons. Et l'exemple de cette vigilance, de cette curiosité active, est pour Colette le meilleur des stimulants et la promesse de ne point vieillir ; car, du même coup Sido enseigne le renoncement à une agitation trop humaine, la sagesse, l'attente silencieuse, à l'écart, devant des merveilles qui n'appartiennent qu'à ceux qui les voient. Les merveilles sont à portée, dans la violence du paysage de Provence. qu'assoiffent le soleil et le vent de la mer. Mais le destin propose un dernier amant à cette seconde Léa : c'est un garçon assez insignifiant, silencieux toutefois, « bien tourné, logé à l'étroit dans sa belle peau brune », et dont la ténacité est pour la trop défiante et railleuse Colette un hommage encore très émouvant. Cet inquiet. ce sombre Valère Vial, demeure à quelque distance du jardin « sans maître », où vont et viennent, de nuit et de jour, des bêtes pleines d'une courtoisie hautaine, auprès de laquelle pâlit la vulgarité des humains. Il a repoussé l'amour maladroit d'une belle fille blonde, rougie par le soleil comme une poterie. Hélène Clément vient alors se plaindre. mi-agressive et mi-servile, à celle qui s'interpose entre elle et Valère Vial, redonnant à Colette une dangereuse conscience de son propre pouvoir. Cette jalousie précipite les choses. Au cours d'une nuit d'été où l'on entend chanter les crapauds et mourir les vagues du large, Colette et le jeune Valère en viennent à parler ouvertement de la situation. Pour Colette, il n'est plus de regrets à avoir : elle a choisi, et sa dignité se calque sur celle de la Nature qu'elle épie, des choses et des bêtes. Et puis, n'est-il pas doux de donner son congé à l'Homme, librement, avant que d'en être délaissée ? Il reste tout ce qu'enseigne l'inégalable Sido, dont les lettres anciennes paraissent à travers cette espèce de longue méditation, comme des talons, comme de précieux livres de chevet où puiser à tout propos le conseil sûr, enrobé cependant d'une malice violente et qui sent l'anarchie. Et Colette donne elle-même sa mère pour modèle , tachant à rendre aussi parallèles que possible leurs deux vies. Comme Sido, elle contient à grand peine son impatience devant les confidences médiocres dont on croit bon de l'encombrer ; et cet ennui irrité lui donne de la hauteur. Il semble que tout lui soit à charge, hormis le monde enclos dans son jardin, et ses voisins, - « de vieilles gens courbés vers la terre, crevassés et crayeux, la main ligneuse, chevelus comme un nid », - qui lui offrent « comme leurs œuvres les plus précieuses : un œuf, un poussin, une pomme ronde, une rose, un raisin ». Pour elle, il n'est plus d'autre gloire que celle de se lever au moment où le monde est désert, Comme Sido, elle veut « le monde à elle », « la jungle vierge, encore que limitée à l'hirondelle, aux chats, aux abeilles, à la grande épeire debout sur sa roue de dentelle argentée par la nuit ». Et l'ivresse toujours, éprouvée la pousse à guetter la « naissance du jour », tout comme Sido « montait et montait sans cesse, sur l'échelle des heures, tâchant à posséder le commencement du commencement ».
Le style, d'une admirable vigueur, et comme ralenti par l'excès même de son opulence, est bien celui qui convenait à l'apothéose d'un âge périlleux, que secourt heureusement et qu'enserre la pureté rigide de la Nature.
