Le Génie du Christianisme

Œuvre de François-René de Chateaubriand (1768-1848), parue le 24 Germinal an IX (14 avril 1802) sous le titre : le Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne, un an presque jour pour jour après Atala et quelques jours avant la proclamation officielle du Concordat à Notre-Dame de Paris en présence du Premier Consul. Chateaubriand avait commencé la rédaction de cet ouvrage en 1798, dans « les ruines des temples » comme il l'a écrit lui-même, c'est-à-dire dans une atmosphère d'irréligion, suite de la Révolution. Il y avait loin des idées qui inspirèrent cette œuvre à celles de l'Essai sur les Révolutions. Revenu à la foi de son enfance, Chateaubriand voulut aussitôt en dépeindre les beautés. Dès 1799. Il en avait terminé une première rédaction qu'il essaya de mettre en vente, mais sans succès. Il travailla de nouveau à son livre en 1801.
L'ouvrage s'intitulait alors : «Beautés morales et poétiques du Christianisme » et était attendu du public avec une grande impatience, sa parution ayant été annoncée longtemps à l'avance. Le Génie du Christianisme paraissait au moment même où son utilité était la plus manifeste : l'Église et l'État venaient de se réconcilier et le Christianisme semblait renaître après les épreuves qu'il venait de traverser. L'œuvre avait aussi un but politique : Chateaubriand y appuyait le programme du Premier Consul et manifestait le ralliement de son auteur, rayé de la liste des émigrés par Bonaparte. La seconde édition (1803) s'accompagnait même d'une épître dédicatoire au Premier Consul, où l'auteur déclarait : « On ne peut s'empêcher de reconnaître dans vos destinées la main de cette Providence qui vous avait marqué de loin pour l'accomplissement de ses desseins prodigieux». Il exprimait ainsi les espoirs du parti catholique, désormais acquis à Bonaparte : « Continuez à tendre une main secourable à trente millions de Chrétiens qui prient pour vous au pied des autels que vous leur avez rendus ». Le Premier Consul ne devait pas se montrer ingrat : Chateaubriand fut nommé secrétaire d'Ambassade à Rome, puis Ministre de France dans le Valais. Mais l'assassinat du duc d'Enghien vint interrompre cette carrière : Chateaubriand démissionna et rompit avec Bonaparte. A partir de ce moment. Il fut farouchement anti bonapartiste et, en 1814, il devait combattre avec âpreté Napoléon dans son pamphlet : De Buonaparte et des Bourbons qui allait jusqu'à la calomnie.
Dans le Génie du Christianisme, il n'entend nullement prouver la vérité de la religion chrétienne, mais répondre aux sarcasmes des philosophes du XVIIIe siècle et en particulier à ceux de Voltaire. Ceux-ci avaient ridiculisé non seulement le clergé, mais la religion même ; ils avaient soulevé la haine et le dégoût contre l'Inquisition, contre les Jésuites, contre l'immoralité et l'ignorance des moines. Chateaubriand entend montrer que la religion est belle, qu'elle sert la cause de la civilisation, qu'elle a inspiré les grandes œuvres des temps modernes, que la civilisation est chrétienne même si elle le nie, qu'enfin la religion accompagne et rend plus humaine la vie de chaque jour. Dans la première partie consacrée aux Dogmes et Doctrines, il étudie successivement : les Mystères et les Sacrements (Livre I), les Vertus et les Lois morales (II), la Vérité des Écritures et en particulier l'article du péché originel (III). Au livre V, il arrive à « l'Existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature». Cette démonstration n'a pas de caractère théologique ou métaphysique, elle est exclusivement poétique : ce que Chateaubriand veut montrer, c'est seulement qu'il est beau de croire et que la beauté de l'Univers porte à la foi ; c'est un prétexte à des descriptions aimables ou solennelles, d'un style admirable, qui comptent parmi les plus belles pages de cet écrivain. La seconde partie est consacrée à la supériorité des œuvres inspirées par le Christianisme sur les poèmes païens. Il y étudie les Épopées chrétiennes : la Divine Comédie, qu'il révéla à la France, la Jérusalem délivrée, les Lusiades, la Messiade de Klopstock, le Paradis perdu de Milton, dont il devait plus tard donner une traduction, enfin la Henriade. Au second livre, sa comparaison des caractères naturels et sociaux, dans les poèmes antiques et modernes, peut être considérée comme l'origine de la critique historique, qui étudie l'évolution d'un même caractère, par exemple celui d'Iphigénie, suivant l'époque, le pays, la religion des poètes qui cherchent à le peindre. Le troisième livre reprend le même thème envisagé sous un angle différent : celui du rapport des passions. René, publié à part en 1805, formait l'illustration de la thèse soutenue par l'auteur. Au livre IV, il s'efforce de démontrer la supériorité du merveilleux chrétien sur le merveilleux païen. La seconde partie se termine sur un parallèle entre la Bible et Homère.
La troisième partie est consacrée aux arts et à la littérature. Le premier livre qui traite de la musique, de la peinture et de la sculpture, est le plus faible de tout l'ouvrage : les connaissances de Chateaubriand dans ce domaine étaient trop insuffisantes pour lui permettre de parler de ces questions avec compétence. Cependant le chapitre célèbre qu'il consacre aux Églises gothiques, eut le mérite de réhabiliter cette architecture et fut à l'origine de l'engouement romantique pour cet art. Le second livre, qui a pour sujet la philosophie, demeure très superficiel néanmoins, les quelques pages qui se rapportent à Pascal sont classiques. Le troisième livre est consacré à l'influence du Christianisme sur la manière d'écrire l'histoire, le quatrième à l'Éloquence sacrée. Le cinquième traite des « Harmonies de la Religion chrétienne » et plus particulièrement de la poésie des ruines. Alma ou les Amours de deux saurages dans le désert, publié un an auparavant (1801), y prenait place. La quatrième partie a pour objet le culte : Chateaubriand y traite des églises, ornements, prières, cérémonies liturgiques, tombeaux. Il esquisse ensuite une « Vue générale du Clergé » puis il passe aux Missions, aux Ordres militaires et à la Chevalerie, enfin aux « Services rendus à la société par le Clergé et la Religion chrétienne en général ». Les pages sur les cloches, sur la fête des Rogations, qui en font partie, demeurent, à juste titre, parmi les plus fameuses du livre.

Le Génie du Christianisme est, en fait, l'œuvre centrale de Chateaubriand. Atala, René, qui se rattachent tous deux à la vaste épopée indienne : les Natchez, en sont extraits. Les Martyrs furent écrits pour justifier les théories du IVe livre, et la plus grande partie de l'œuvre de Chateaubriand découle des idées qu'il exprime et des positions qu'il prend dans le Génie. Le succès de l'œuvre fut immense, elle venait à son heure. Il y eut bien des voix discordantes, c'étaient celles des voltairiens athées ; mais l'œuvre n'en donna pas moins à Chateaubriand une gloire immense du jour au lendemain, et elle devait connaître un regain de faveur lors de la Restauration. L'œuvre exerça une influence durable, non seulement sur la poésie où elle suscita un nouveau genre : la méditation philosophique et religieuse, que devaient illustrer plus tari Lamartine, Vigny et Hugo, et sur la critique littéraire où Chateaubriand se montrait un novateur, mais sur l'histoire (car elle attira l'attention sur une période complètement négligée jusqu'alors : le Moyen-âge), sur l'art, en remettant à la mode l'art gothique, où les artistes trouvèrent une nouvelle source d'inspiration et même d'imitation : enfin, elle créa un mouvement de renaissance religieuse ou du moins elle l'appuya. Si l'on ne demeure plus toujours sensible aux arguments employés par l'auteur et à son système de défense du Christianisme, dont l'efficacité valait surtout à son époque, si le Génie du Christianisme nous apparaît plutôt comme une juxtaposition d'impressions, de descriptions, voire de considérations sentimentales, qui voisinent avec des réquisitoires et des polémiques contre certains écrivains et leurs tendances, plutôt qu'un système cohérent comme les œuvres des deux grands penseurs contemporains : Joseph de Maistre et Bonald, le livre n'en demeure pas moins un monument littéraire, rempli de pages admirables que la noblesse et la splendeur de leur style rendent immortelles.

bdp
16-Sep-2024
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