Les mandarins

Roman publié en 1954 par l'écrivaine française Simone de Beauvoir. Prix Goncourt en 1954.

Roman publié en 1954 par l'écrivain français Simone de Beauvoir. Prix Goncourt en 1954. Cet ouvrage s'est d'abord appelé « Les Survivants » parce qu'il peint l'échec de la Résistance et le retour triomphant de la domination bourgeoise ; puis « Les Suspects » puisque l'un de ses thèmes essentiels est l'équivoque de la condition d'écrivain. C'est que, en ces années 50 où l'auteur entreprend ce nouvel ouvrage, les intellectuels sont devenus une espèce à part, à laquelle on conseille aux romanciers de ne pas se frotter. Pour représenter ce monde, qui est le sien, l'auteur forge un grand nombre de personnages, en prenant deux particulièrement comme sujets. Bien que l'intrigue principale soit une brisure et un retour d'amitié entre deux hommes, c'est une femme qui tient l'un de ces rôles privilégiés, Anne, l'épouse de Dubreuilh qui, si elle-même n'écrit pas, a besoin que son mari continue d'écrire. Elle fournit le négatif des objets qui se découvrent à travers Henri sous une forme positive. Henri, le second témoin, écrivain également, tantôt veut se taire et tantôt non ; c'est de ses contradictions avec Anne, diversement combinées, que l'auteur obtient les différents éclairages de son œuvre. Ressuscitant l'opposition de Tous les hommes sont mortels (voir l'Invitée), elle donne à Anne le sens de la mort et le goût de l'absolu, tandis qu'Henri se contente d'exister. Ces deux points de vue ne sont jamais symétriques, mais se renforcent, se nuancent l'un par l'autre. Dubreuilh, lui, occupe une position-clé puisque c'est par rapport à lui qu'Anne, sa femme, et Henri, son ami, se définissent. Par l'acuité de son expérience, par la force de sa pensée, il l'emporte sur les deux autres ; cependant, du fait que son monologue reste secret, il est un peu en dehors, n'existant qu'au travers des deux autres. Enfin deux portraits ont également leur importance. Celui de Nadine, la fille de Dubreuilh, qui représente la jeunesse avec son agressivité, son sentiment d'infériorité et son égoïsme. Et Paule, une femme radicalement aliénée à un homme, le tyrannisant au nom de cet esclavage : une amoureuse. Entre tous ces personnages, les liens restent très lâches ; ainsi un épisode long et important reste marginal : l'amour d'Anne et de Lewis ; il semble bien qu'il ne soit là que pour permettre à l'auteur de transposer une aventure qui lui tenait à cœur. On a souvent vu dans cet ouvrage un roman à clefs. Il est bien certain que Henri-Camus et Dubreuilh-Sartre peuvent se justifier. Mais il reste évident que tous ces matériaux puisés dans la mémoire de l'auteur ont été combinés, parfois renversés et toujours recréés.

L'objet principal du roman réside dans l'évocation de certaines manières de vivre de l'après-guerre. L'un des thèmes principaux qui se dégage du récit est celui de la répétition, au sens de Kierkegaard : pour posséder un bien, il faut l'avoir perdu et retrouvé. Au terme du roman, Henri et Dubreuilh reprennent le fil de leur amitié, de leur travail littéraire et politique ; ils retournent à leur point de départ ; mais entre-temps toutes leurs espérances sont mortes. Désormais, au lieu de se bercer d'un optimisme facile, ils assument leurs difficultés et leurs échecs. La décision finale des deux hommes n'a pas la valeur d'une leçon ; tels qu'ils sont on comprend qu'ils l'adoptent, mais on peut préjuger que dans l'avenir leurs hésitations renaîtront. Plus radicalement encore, leur point de vue qui est celui de l'action, de la finitude, de la vie, est mis en question par Anne en qui est incarné celui de l'être, de l'absolu, de la mort. Si Dubreuilh prétend dépasser l'horreur qui baigne le monde, Anne s'y arrête ; et elle médite d'en affirmer l'intolérable vérité par un suicide. Entre ces deux attitudes, l'auteur ne choisit pas : Anne n'exécute pas son projet, mais son retour au commencement quotidien ressemble plus à une défaite qu'à un triomphe.

bdp
16-Sep-2024
Copyright Rêv'Errances [https://reverrances.fr]