NELLIGAN
Émile NELLIGAN, (Montréal, 1879 - Montréal, 1941). Canadien français par sa mère, d'ascendance irlandaise par son père, il s'éloigne très tôt du milieu familial et, renonçant à poursuivre des études universitaires, il se consacre à,la poésie dès l'âge de dix-sept ans. En 1897, il participe aux activités de l'« École littéraire de Montréal» et publie ses premiers poèmes sous divers pseudonymes.
Contraint par son père à s'embarquer comme matelot sur un navire à destination de l'Angleterre, il continue d'écrire et dès son retour, en décembre 1898, il se mêle à nouveau au groupe de l'« École».
Quelques mois plus tard, il est sujet à des crises de délire et est interné. Il meurt en 1941 sans avoir recouvré la lucidité. Les poèmes de ce véritable Rimbaud canadien ont été rassemblés après son internement. L'influence des «poètes maudits» français, et particulièrement de Baudelaire et de Verlaine, n'empêche pas une voix très personnelle de s'y faire jour, marquée par le spleen et la douleur insupportable de vivre.
Ténèbres
La tristesse a jeté sur mon coeur ses longs voiles
Et les croassements de ses corbeaux latents ;
Et je rêve toujours au vaisseau des vingt ans,
Depuis qu'il a sombré dans la mer des Étoiles.
Oh ! quand pourrais-je encor comme des crucifix
Étreindre entre mes doigts les chères paix anciennes,
Dont je n'entends jamais les voix musiciennes
Monter dans tout le trouble où je geins, où je vis ?
Et je voudrais rêver longuement, l'âme entière,
Sous les cyprès de mort, au coin du cimetière
Où gît ma belle enfance au glacial tombeau.
Mais je ne pourrai plus ; je sens des bras funèbres
M'asservir au Réel, dont le fumeux flambeau
Embrase au fond des Nuits mes bizarres Ténèbres !
