Surréalisme

DADAISME ET SURREALISME


Le 1er décembre 1924 naît à Paris la revue Révolution surréaliste. Avec cette publication commence la plus prodigieuse aventure poétique du XXe siècle. Un groupe de poètes et d'artistes issus de l'expérience dadaïste vont, à compter de cette date et durant une trentaine d'années, produire un grand nombre d'œuvres majeures et bouleverser les goûts et les sensibilités de leurs contemporains.
Le terme «surréaliste» est forgé en 1917 par Guillaume Apollinaire pour qualifier son drame les Mamelles de Tirésias. Ce mot est aussitôt repris par les détracteurs de toutes les expressions modernistes de l'immédiat après-guerre. Aussi est-ce par défi qu'André Breton (1896-1966) et ses amis revendiquent ce terme, cherchant à lui donner un contenu et un sens positifs.
Qu'est-ce que le surréalisme ?

« Littérature » et dada

Le surréalisme est né au lendemain de la Première Guerre mondiale d'un constat d'échec de la pensée occidentale. Selon ses défenseurs, l'Occident n'a pas su laisser la pensée se manifester dans toute sa pureté et dans toute son ampleur. Il l'a sans cesse travestie et soumise à un système rationnel étriqué qui a pour principe d'exclure ce qu'il ne peut pas assimiler. D'où les conceptions dualistes de l'homme et du monde et les oppositions factices comme celles de l'esprit et de la matière, de la vie et de la mort, du réel et de l'irréel, du normal et de l'anormal, de l'objet et du sujet.
Le projet surréaliste vise donc à mettre un terme à ces dualités en prônant les pouvoirs de l'imagination, du rêve et de l'amour. Pour cela, il exige de ses adhérents une attitude radicale de contestation des institutions et de la société. Pour réaliser ce projet révolutionnaire, André Breton réunit autour de lui, à Paris, plusieurs générations d'intellectuels. La première, avec Louis Aragon (1897-1982), Philippe Soupault (18971990), Paul Éluard (1895-1952), Benjamin Péret (1899-1959), Robert Desnos (1900-1945), Antonin Artaud (1896-1948), Max Ernst (1891-1976), Joan Miré (1893-1983) et André Masson (1896-1987), reste la plus prestigieuse.
Quelques semaines après la signature de l'armistice qui met fin à quatre années de guerre, Breton, Aragon et Soupault lancent la revue Littérature. Des écrivains aussi différents que Paul Valéry, André Gide et Blaise Cendrars y publient des textes qui côtoient d'autres textes inédits ou oubliés de Lautréamont et de Rimbaud. La revue fait connaître, dès l'automne 1919, les premiers chapitres des Champs magnétiques rédigés par Soupault et Breton selon une nouvelle technique d'écriture, l'écriture automatique.

Rendez-vous des amis
Le tableau de Max Ernst Au rendez-vous des amis date de 1922. Musée de Cologne
Le groupe surréaliste est représenté entourant Fédor Dostoïevski. On reconnaît René Crevel, Philippe Soupault, Hans Arp, Max Ernst, Max Morice, Theodor Fraenkel, Paul Éluard, Jean Paulhan, Benjamin Péret, Louis Aragon, Johannes Baargeld, Giorgio de Chirico, Gala Éluard, future épouse de Salvador Dali, et Robert Desnos.


En 1920, elle invite à Paris dada, mouvement né à Zurich, au cabaret Voltaire, en 1916, autour d'un réfugié roumain, Tristan Tzara (1896-1963). En réaction contre les horreurs de la guerre, dada veut être une entreprise de démolition de toutes les valeurs en cours et à venir. Il organise pour cela des anti spectacles qui provoquent et scandalisent les spectateurs. Dada est contre tout et, en premier lieu, contre dada. Ce radicalisme séduit les poètes de Littérature en mal de fête, mais leur engouement pour les manifestations dada est de courte durée. Très tôt, Breton et ses amis marquent leur distance à l'égard du nihilisme de Tzara, qui les ennuie. Ils lui reprochent d'en rester toujours au même point et de se limiter à une contestation gratuite. L'occasion de lâcher dada est donnée en 1922, quand Tzara refuse, sous prétexte que dada n'est pas moderne, de participer à un Congrès international pour la détermination et la défense de l'esprit moderne.

Le premier « Manifeste »

En novembre 1924, Breton publie son premier Manifeste du surréalisme. C'est une nouvelle Déclaration des droits de l'homme et un hymne à l'Imagination. Le Manifeste prône une poésie du désir et la pratique de l'écriture automatique. Breton y souligne l'importance des travaux de Sigmund Freud sur le rêve et, pour la première fois, définit le surréalisme comme un automatisme psychique pur fondé sur le fonctionnement réel de la pensée. La publication du Manifeste couronne une période féconde en œuvres surréalistes collectives.
Une nouvelle revue naît, la Révolution surréaliste, en même temps qu'un bureau de recherches surréalistes sous la direction d'Artaud. C'est l'époque des déclarations fracassantes, comme celle du 27 janvier 1925 : «Ouvrez les prisons, licenciez l'armée.» De leur côté, des peintres comme Marcel Duchamp, Max Ernst, André Masson, Joan Mirô et Man Ray inventent de nouveaux procédés plastiques. La variété et la richesse de leurs productions confèrent au mouvement les apparences d'une nouvelle école littéraire et artistique, ce que récuse Breton.
La politique est une autre cause de discorde entre les surréalistes. Historiquement, c'est la guerre du Rif qui est à l'origine de leur prise de conscience politique et du dialogue avec les intellectuels communistes du groupe Clarté. Malgré leurs divergences, Breton et Pierre Naville adhèrent au Parti communiste en 1927 et y entraînent Aragon, Eluard et Péret. Quoique leur adhésion soit problématique, ils s'en prennent à ceux qui refusent de les suivre. Artaud, Soupault et Roger Vitrac sont exclus du groupe pour leur tièdeur politique.
Les œuvres de cette période comme le Paysan de Paris d'Aragon (1926), Capitale de la douleur d'Eluard (1926), et Nadja de Breton (1928) ne reflètent guère ces préoccupations politiques. Elles révèlent en revanche les intentions morales du mouvement et sa théorie de l'amour fou. Jacques Prévert, Raymond Queneau, Yves Tanguy adhérent alors au mouvement, tout comme le Belge René Magritte, le Yougoslave Mario Ristitch et les Tchécoslovaques Maria Cerminova, qui peint sous le nom de Toyen, et Vitezslav Nezval.

Du « Second Manifeste » à la guerre

En 1930, Breton publie un Second Manifeste plus passionné et violent que celui de 1924. Le «pape» du surréalisme y confirme les excommunications de Desnos, Leiris, Queneau et Prévert, entre autres, qui lui répliquent par un pamphlet intitulé Un cadavre. Le Second Manifeste rappelle que l'entreprise surréaliste se réclame à la fois de la dialectique hégélienne et de la tradition ésotérique. Il exige la plus grande rigueur au sein du groupe pour maintenir le mouvement sur une ligne de crête où l'engagement politique et la recherche théorique parviennent à coexister sans se détruire réciproquement.
Salvador Dali, René Char et Luis Buñuel se joignent au groupe et à la nouvelle revue, le Surréalisme au service de la Révolution. Mis à l'index par les milieux bien pensants, le groupe se montre plus anticonformiste que jamais. En 1930, la sortie du film surréaliste de Buñuel, l'Âge d'or, provoque un scandale. Des ligues antijuives et patriotiques saccagent la salle de projection pour obtenir l'interdiction du film. Mais c'est l'extraordinaire fécondité du groupe qui frappe les témoins de cette période. Les textes collectifs se multiplient comme l'Immaculée Conception, de Breton et Eluard, et Ralentir, travaux, de Breton, Char et Éluard.
En mars 1932, pour des raisons politiques, le groupe perd, avec Aragon, un de ses chefs de file les plus brillants. L'entreprise politique du surréalisme échoue en 1935 après l'échec d'une tentative visant à fonder, avec Georges Bataille, un mouvement révolutionnaire d'ultra-gauche baptisé Contre-Attaque. Après cette date, les surréalistes demeurent politiquement isolés. Neuf intellectuels, seulement, répondent à un appel de Breton en faveur de l'intervention de la France dans la guerre d'Espagne. En revanche, la diffusion des idées du groupe gagne de plus en plus de terrain à l'étranger. En 1938, l'exposition surréaliste de Paris présente les œuvres de soixante-dix artistes venus de quatorze pays. Cette grande exposition est l'occasion de la parution d'un dictionnaire abrégé du surréalisme. Désormais, rien n'arrêtera son extension, ni les désaffections individuelles ni la guerre qui éclate en 1939.

«Prolégomènes à un troisième manifeste»

Exilé aux États-Unis après l'instauration du régime de Vichy, Breton y retrouve Duchamp, Ernst, Masson, Matta et Tanguy. Il y rencontre aussi Élisa, l'inspiratrice d'Arcane 17. À New York, en juin 1942, il fonde la revue VVV à laquelle collaborent divers membres du groupe en exil, Roger Caillois, Denis de Rougemont et les ethnologues Alfred Metraux et Claude Lévi-Strauss.
C'est dans VVV que paraît en 1942 le texte des Prolégomènes à un troisième manifeste. Breton y exprime les nouvelles priorités du mouvement : désormais, ce n'est plus la révolution sociale qui lui importe au premier chef, mais la transformation de l'homme. Il dénonce les mythes anciens et appelle à l'élaboration d'une mythologie nouvelle. Incontestablement, la fréquentation de Wilfredo Lam et d'Aimé Césaire à la Martinique, des Haïtiens et des Indiens de l'Arizona comme du Nouveau Mexique lui fait apparaître l'impérieuse nécessité de créer de nouveaux mythes adaptés à l'homme moderne.
Au lendemain de la Libération, une nouvelle génération de surréalistes se compose de peintres, Toyen, Hérold, Hantaï, d'écrivains, Julien Gracq, Duprey, Schuster, Joyce Mansour, et d'hommes de cinéma, Ado Kyrou, Benayoun. Cette génération, qui se regroupe toujours autour de la personne de Breton, renouvelle les jeux collectifs, accueille avec enthousiasme les recherches de Malcolm de Chazal dans le domaine des correspondances et applaudit à la découverte de l'art gaulois, qui montre que l'Occident n'a pas toujours été soumis à la rationalité gréco-romaine. Dans les années 1950, deux ouvrages sont fortement marqués par ces préoccupations : l'Anthologie de l'amour sublime, de Péret (1956), et l'Art magique, de Breton et Legrand (1957). La consécration de la peinture surréaliste par la Biennale de Venise, en 1954, donne lieu à un retour aux origines.

Fidèle à sa tradition, le surréalisme d'après-guerre crée de nouvelles revues : Néon en 1948, Médium en 1954, le Surréalisme même en 1956, Bief en 1958, la Brèche en 1961 et l'Archibras en 1967. Durant cette période qui s'achève peu après la mort de Breton en 1966, les jeunes surréalistes comme Gracq, Duprey et Joyce Mansour livrent les plus beaux textes surréalistes d'avant 1968.

bdp
19-Sep-2024
Copyright Rêv'Errances [https://reverrances.fr]